Cet article a été publié dans le magazine FemininBio #25 octobre-novembre 2019
>> Pour retrouver la liste des points de vente, c'est ici
La lumière naît de l’obscurité. Est-ce pour cela que l’ombre m’a attiré si jeune ? Je voulais devenir reporter de guerre et voir la mort en face. Alors j’ai rejoint le maquis afghan à l’âge de dix-neuf ans. Je pensais que cette confrontation avec l’extrême m’apporterait des réponses. Mon besoin de comprendre était viscéral. Comprendre quoi ? Le monde. Notre existence a-t-elle un sens ? Se peut-il que derrière l’absurdité apparente de notre temps se cache de l’or ?
Même si le souvenir inconscient d’une lumière oubliée vivait encore en moi, j’étais à l’époque incapable de percevoir le début d’une réponse à ces interrogations brûlantes, parce que trop aveuglé par mes propres blessures. Alors, dans la confusion je suis devenu raisonnable, ce qui a eu pour conséquence d’accentuer encore la coupure avec cette dimension "spirituelle" dont je mesure aujourd’hui combien elle est en réalité essentielle. De plus en plus perdu au fur et à mesure que je devenais adulte, j’ai découvert l’alcool qui s’avère un allié très efficace, sur le moment, pour s’éteindre encore davantage et supporter le temps vide qui passe.
>> A lire sur FemininBio "Lorsque j'étais quelqu'un d'autre", rencontre avec Stéphane Allix
Et j’ai parcouru le monde, franchi des frontières dangereuses, vu la mort en face, jusqu’à l’approcher de plus en plus près, presque à la désirer parfois. Puis elle a touché ma propre famille. Et cette épreuve fut si déchirante. Elle m’a profondément blessé. Elle a entaillé l’armure, ce qui a eu paradoxalement pour effet d’à nouveau laisser passer quelques éclats de lumière après que la douleur se soit un peu atténuée. Quel étrange constat ! Comme s’il avait fallu ce drame indicible pour réveiller une chose profondément tapie en moi. Faut-il souffrir, faut-il approcher la maladie, la mort, pour oser se rappeler que nous sommes des êtres spirituels embarqués le temps de quelques décennies dans une expérience humaine ?
>> A lire sur FemininBio "Après...", le nouveau livre de Stéphane Allix
Mes blessures m’ont donné la force d’arrêter ce désir d’anesthésie permanente, elles m’ont invité également à reconsidérer l’ordre de mes priorités. Pourquoi la vie nous aveugle-t-elle tant ? Pourquoi nous laissons-nous faire ? Pourquoi faut-il des drames pour nous réveiller ? Pourquoi oublions-nous d’où nous venons ? En parvenant à traverser ces épreuves qui ont ponctué le cours de ma vie, j’ai appris combien regarder l’ombre dans les yeux est en définitive le seul chemin guérisseur. Car il offre la lucidité, du latin "luciditas", qui signifie clarté, splendeur. Cette claire connaissance de soi. Alors, bien sûr, l’obscurité semble parfois recouvrir notre monde, engloutir nos vies, et pourtant la traversée de ces moments si douloureux est parfois susceptible de nous reconnecter à quelque chose d’essentiel. Je l’ai vu chez tant d’entre vous. Car nous sommes des êtres de lumière. Et nous l’oublions.
Notre expert
Stéphane Allix est le fondateur de l’INREES, l’Institut de recherche sur les expériences extraordinaires, et du magazine Inexploré. Son nouveau livre, Entre ombre et lumière, itinéraire d'un reporter, est paru aux éditions Flammarion.