Les informations permanentes qui nous abreuvent sur tous les supports et médias nous poussent à une réflexion immédiate et même souvent à un jugement de valeur. Notre avis est sollicité en permanence : "que penses-tu de cela ?" "quelle est ton opinion sur telle thématique ?" etc. Il semble parfois nécessaire de prendre du recul et le temps de la réflexion et ce, même si celle-ci aboutit à ne justement pas avoir d'opinion.
Interrogeant sans relâche le réel, parfois en philosophe, parfois en conteur, toujours en humain libre et jamais résigné, Pierre Leutaghi nous propose d'explorer de nouveaux territoires d'idées, et notamment notre rapport au numérique. Extrait.
Le numérique : une nouvelle nature ?
Ils (les jeunes) évoluent sans questions particulières dans le monde à la fois complexe et facile qui est devenu le leur, dont ils ont intégré tous les codes, qui leur octroie une liberté de l’échange auparavant jamais connue. Au regard de ce vécu devenu spontané, ne doit-on pas qualifier toute critique de réactionnaire ? La dématérialisation des échanges, la possibilité maintenant accordée à (presque) tous de (se) partager dans l’écrit, l’image, la voix, a provoqué en deux décennies un bouleversement d’échelle planétaire complètement hors de contrôle –sinon dans les États totalitaires, qui, outre la surveillance des réseaux sociaux, peuvent en suspendre l’accès quand la liberté d’échanger leur semble excessive.
Il ne s’agit plus seulement d’accéder à l’information issue des pensées comme des remous du monde, mais que chacun(e) y ajoute, voire la modifie. Les diverses cultures ne se rejoignent pas sur les ronds-points numériques avec les mêmes attentes, les mêmes projets, un pareil souci de veiller au respect dans le partage. De spectateurs plus ou moins lointains, on est tous devenus acteurs, on donne en permanence le Dit de la Terre, avec improvisations. Il en résulte une révolution sociale d’ampleur planétaire, aussi impossible à moduler que le réchauffement climatique.
On peut seulement souhaiter qu’elle parvienne à une forme d’auto connaissance critique, sinon d’autorégulation, comme des cohérences peuvent émerger des systèmes chaotiques scrutés par les algorithmes (pour des raisons pas toujours avouables). Sans négliger le possible collapsus numérique, par défaut, déjà, des terres rares indispensables aux composants des circuits, dans les ordis comme les smartphones.
Résumé :
La surexplication du monde, un aide mémoire pour les temps d'Après, est un essai de l'écrivain Pierre Lieutaghi. Cet essai nous propose une réelle pause, et si ce qui nous semblait évident et quotidien c'est à dire analyser tout et de façon permanente ne l'était pas ? Comment avoir sa propre vision du monde et du réel sans filtres ni prismes, comment se libérer de la facilité de recevoir une information déjà analysée pour exercer son avis critique ou plus simplement se dire qu'il faut cesser d'écouter ce flux. L'auteur veut nous aider à regarder le XXI è siècle droit dans les yeux et avoir véritablement confiance en l'avenir.
L'auteur :
Pierre Lieutaghi est écrivain et ethnobotaniste. Il fait partie des pionniers en France en matière de pantes médicinales et du renouveau de l'herboristerie. Ses articles et livres traitent souvent du rapport entre plantes et sociétés.
Le livre :
La surexplication du monde, un aide mémoire pour les temps d'Après, Pierre Lieutaghi, aux éditions Actes Sud, 2020