Cet extrait est tiré du livre Histoires du soir pour les adultes qui ont peur du noir, paru aux éditions Leduc. Découvrez aussi les extraits "Un ballet de lilas" et "Les vagues de Matteo", à lire sur FemininBio.
Au moment de vous abandonner aux bras de Morphée, laissez-vous aider à trouver des réponses, du réconfort et de l'apaisement grâce à ces histoires éprises de méthodes et rituels venus du yoga et de la méditation.
LA TISSERANDE ou l’invitation à ralentir
Dans les montages de la Rioja, en Espagne, elle tisse. Pour la trouver, il faut connaître l’endroit. Escalader des rochers, sauter à travers un cours d’eau gorgé de pierres rondes et polies. La halte chez elle se mérite. C’est son fils, Javier, qui nous guide.
Elle a de longs cheveux bouclés, presque blancs. On la découvre de dos. Ses mains s’activent sur le métier, jongle avec les fils et la navette, comme si elle jouait d’un instrument de musique, d’une harpe créatrice de motifs.
Le lieu est vaste, la charpente haute. Un vrai puits de lumière. L’endroit nous invite à ralentir, à prendre conscience du temps qui passe. L’instrument large et puissant paraît immense. Le cadre est en bois. On sent qu’il respire. Une noblesse se dégage de lui. Une grande paix émane de ce lieu où les écheveaux attendent l’orchestration à venir. Rangés par couleurs, par matières, ils patientent à côté de monceaux de laine brute, blanc cassé et ouatée. Au dehors, la nature – faune et flore – s’ébroue et rivalise de couleurs et de chants.
Inés nous questionne, nous demande d’où l’on vient, ce que l’on est venus faire ici. Elle nous parle du tissage, de son histoire. Elle explique avec passion son métier, ses influences. À travers les grandes baies vitrées, puisant la luminosité, elle se nourrit des éléments alentour. De la palette de couleurs qui change au fil des saisons. Du vent, surtout, qui l’inspire. Elle cherche les mots pour nous décrire avec précision l’état dans lequel elle plonge quand elle manie les fils entre ses doigts, cette concentration infinie qu’elle pourrait appeler méditation.
Une grande force émane d’elle. On la sent profondément ancrée.
Nous ne restons pas longtemps. Par notre seule présence nous avons la sensation de troubler l’équilibre, l’âme de l’endroit. On ne saurait trop s’immiscer dans le monde d’Inés, son espace-temps si singulier, où l’on a l’impression de sentir chaque seconde s’égrener. Nous allons rejoindre Logroño, petite ville de pierre, pour la soirée.
La lumière, doucement, décline. Par les sentiers rocheux et escarpés, nous redescendons lentement. Sur nos épaules, l’air se rafraîchit. Le pouls de la ville nous attend, mais notre fréquence a changé. Comme si nous étions plus posés, plus aériens. Plus sereins.
L’exemple d’Inés me fait réfléchir. Que pourrais-je mettre en place dans ma vie quotidienne pour ralentir, prendre le temps, calmer le rythme trépidant dans lequel je me suis enfermée ?
Extraits du livre Histoires du soir pour les adultes qui ont peur du noir, écrit par Anne-Charlotte Sangam et paru aux Editions Leduc.