"Je suis née en Ardèche, au coeur de l'aventure familiale de mes parents Pierre Rabhi et Michèle Rabhi qui ont fait leur retour à la terre au tout début des années soixante. J'ai grandi, avec mes 4 frères et sœurs, parmi les animaux de la ferme, dans un grand bois de chênes proche d'une rivière. Nous avions un élevage de chèvres et une production de fromages.
Quand les enfants ont grandi et ont quitté la ferme, ma mère s'est affiliée à Accueil Paysan pour devenir lieu d'accueil d'enfants. Je l'ai accompagné dans ce projet et je suis devenue animatrice à la ferme. C'est ainsi que j'ai fait mes premières expériences pédagogiques."
À quel moment de votre vie avez-vous ressenti la nécessité de vous lancer dans le projet "La ferme des enfants" ?
Lorsque j'ai attendu mon fils ainé né en 1997. J'avais suivi une formation en communication et audiovisuel mais je n'entrevoyais pas le moyen de m'épanouir dans cette voie. De plus, à partir du moment où je suis devenue maman, l'avenir des enfants de cette planète est devenu ma priorité. J'ai beaucoup entendu parler des problèmes du monde et de l'humanité dans mon enfance et mon adolescence, et contribuer à changer les choses à travers l'accompagnement de l'enfant est devenu nécessaire pour moi.
J'avais compris, grâce à Maria Montessori, Arthur Janov, Alice Miller et bien d'autres rencontres et lectures, que les problématiques humaines sont liées à un manque d'écologie à l'égard de nous-même. Retrouver la nature de l'humain m'est apparue comme une urgence indispensable.
Quelles sont les bases de la pédagogie et des règles de vie dans votre école ?
Nous l'avons appelé "Pédagogie de la bienveillance" car notre pratique est fondée sur la bienveillance à l'égard de l'enfant. L'enfant a le droit de grandir dans un environnement qui le respecte profondément, dans lequel il n'aura pas peur, il ne sera pas menacé, ni sanctionné, ni dévalorisé. Bien au contraire, dans notre école, nous privilégions la relation de confiance. Nous permettons aux émotions de s'exprimer, nous accueillons l'enfant tel qu'il est, sans le juger et nous nous attachons à devenir des partenaires de son développement.
À quoi ressemble une journée type à l'école de la Ferme des enfants ?
Chaque matin nous nous retrouvons pour un "Quoi d'neuf ?" tous ensemble. C'est l'occasion de constater les absences, de se donner des nouvelles, d'organiser la journée et de mener des petites activités conviviales pour nous rappeler que nous sommes une communauté solidaire. Puis la matinée est consacrée au travail académique dans les classes organisées en pédagogie active. À midi chacun fait sa tâche, un petit travail d'intérêt collectif. Puis l'après-midi il y a des ateliers très variés pour la tête, les mains, le corps, l'esprit… Le travail est individualisé et les enfants ont le choix des ateliers qu'ils souhaitent suivre.
Qu'apporte le fait que l'école Montessori "La ferme des enfants" soit intégrée à l'écovillage le Hameau des Buis ?
C'est un apport considérable pour les enfants. Maria Montessori disait : "Nous n'agissons pas sur les enfants mais sur leur environnement". Ainsi nous avons mis autour de l'enfant un environnement didactique passionnant dans la classe, mais aussi un environnement extérieur avec la ferme et la nature et enfin un environnement social avec le Hameau des Buis.
Cela créé des ouvertures pour le futur de ces enfants qui grandissent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête car tout le monde se demande si le monde de demain sera viable ou non, en raison des bouleversements écologiques et climatiques actuels. Au Hameau nous avons pris ces problèmes à bras le corps et nous nous demandons comment résoudre la problématique de l'énergie, de l'eau, des transports, de la nourriture, de l'exclusion des personnes âgées.
Et les enfants sont les témoins des actions menées. Ils voient et ils pratiquent les maisons bioclimatiques construites en bottes de paille, les panneaux solaires, les toilettes sèches, le recyclage des matériaux, le compostage, l'interdépendance entre les êtres vivants.... Et bien sûr tous ces thèmes sont aussi des supports d'études.
Pourquoi le choix de l'école et d'une pédagogie est-il déterminant dans la construction des adultes de demain ?
Bien sûr le contexte scolaire ne suffit pas. L'école accueille l'enfant de 8h30 à 16h seulement 150 jours par an. Ce n'est évidemment pas la majorité de son temps de vie. Ce qui se passe à la maison est encore plus imprégnant pour l'enfant. L'idéal, c'est que la maison et l'école s'accordent sur des valeurs, des comportements, des actions qui vont dans le même sens. Mais faire des choix pour les enfants est évidemment fondamental. Comment imaginer que nous pourrons construire une société nouvelle, plus consciente, plus respectueuse, si nous continuons à nourrir les enfants avec les outils d'un système qui a suffisamment prouvé son absurdité ?
Quel est selon vous le problème de l'école publique qui amène de nombreuses familles à se questionner sur le parcours de leur enfant ?
Je pense qu'il y a de nombreux facteurs qui bousculent les parents. Les media montrent une société dont la mutation s'accélère et qui manifeste des symptômes inquiétants, y compris dans le système scolaire. Et nous sommes légitimement en droit de nous demander quel sera l'avenir de nos enfants. Du coup, cela invite à repositionner ses attentes et à rechercher l'essentiel.
Cet essentiel est d'autant plus à la mode aujourd'hui que les adultes vivent souvent intimement l'absurdité : matériellement nous avons tout, et bien plus que de besoin, mais nous sommes stressés et comme otages de notre vie moderne. Cette vie qui était sensée nous libérer, nous alléger, apporte finalement beaucoup de mal-être et de souffrance.
Je reçois de nombreuses familles qui viennent avec des enfants en état de phobie scolaire, qui ne trouvent ni plaisir ni sens dans leur scolarité.
Comment permettre à un enfant de se réaliser ?
En n'ayant aucune attente sur lui, afin qu'il devienne ce qu'il doit devenir. Et pour se développer, l'enfant a besoin d'être compris dans les étapes de sa réalisation et d'être aimé sans condition, d'une affection réelle, concrète, qui se manifeste par de l'attention, de la patience, une verbalisation sereine, de l'écoute, des relations de coopération et non plus de domination. Dans mon expérience, j'ai vu que les enfants tout à fait en paix avec leur environnement humain ont un développement moteur, relationnel et intellectuel bien supérieur aux enfants perturbés par une violence éducative ordinaire.
>> Retrouvez Sophie Rabhi dans "30 experts expliquent comment un enfant peut se réaliser".
Un collège a ouvert en 2011. À quel avenir se destinent les enfants de "La ferme des enfants" ?
Il faudrait le leur demander ! Je n'ai aucune maîtrise sur ce point et ne souhaite pas en avoir. Peu importe ce qu'ils deviendront du moment qu'ils se réalisent pleinement en accord avec eux-mêmes. Notre plus grand collégien, après avoir fait de la forge et du paysagisme s'essaie à présent à la mécanique moto. La vie est une expérience, c'est en cela qu'elle est passionnante.
Donc que le parcours soit éclectique ou consacré à une voie unique importe peu et il n'y a pas de sot métier. Si on est confiant, bien dans ses baskets, le potentiel s'exprime sans aucune réserve. Je vois tous nos anciens élèves dans la réussite ! Celui qui a trouvé un emploi et gagne un bon salaire comme celui qui parcourt le monde de découverte en découverte et ne travaille que quand sa bourse est vide.
On rêve tous d'une école comme la vôtre pour nos enfants. Ce projet est -il amené à "faire des petits" ?
Je rencontre chaque année des dizaines de porteurs de projets qui souhaitent ouvrir des structures ou transformer leur pratique. C'est pourquoi nous avons mis en place un centre de formation et que nous partageons nos découvertes et notre expérience avec les stagiaires qui nous rejoignent.
Découvrez la vidéo de Sophie Bouquet-Rabhi qui parle du Hameau des Buis
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Plus d'informations sur le site de la Ferme des enfants.
>> Retrouvez Sophie Rabhi dans "30 experts expliquent comment un enfant peut se réaliser".
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