Après avoir subi 8 ans de violences conjugales et une reconstruction longue de 16 ans (et qui dure encore), Marie Gervais a écrit Il me tue cet amour, où elle raconte ce parcours compliqué qu'elle a vécu pour se reconstruire.
Se protéger soi, avant les autres
Dire la maltraitance provoque un tsunami autour de soi, notamment sur les proches qui réalisent qu’ils ont accueilli et apprécié un être qui a trahi leur confiance. En tant que victime, on ne veut pas faire souffrir son entourage, on a souvent honte et l’on a peur de ne pas être crue mais il est pourtant vital de sortir du cercle vicieux qui consiste à protéger tout le monde sauf soi-même, parce qu’il est encore difficile de se sentir digne de respect. Se protéger, ce n’est pas garder la maltraitance pour soi, cachée aux yeux des autres. C’est au contraire oser s’ouvrir et faire confiance à ceux qui nous écoutent.
Si faire entendre sa voix est aujourd’hui facilité, il faut le faire avec force et justesse pour secouer les consciences tout en évitant les raccourcis , mais en sachant aussi se protéger. J’ai lu beaucoup de remarques acerbes sur les femmes courageuses qui osent enfin parler dix ou vingt ans après les faits : « Mais pourquoi ont-elles donc attendu toutes ces années avant de témoigner ? » Eh bien, elles ont attendu de s’extraire de la sidération, de l’emprise, puis d’être suffisamment fortes pour affronter le regard des autres. Car c’est le temps qu’il faut ! Alors qu’elles ont été dépossédées d’elles-mêmes par un autre, qui oserait aujourd’hui déposséder les victimes de leur temps de reconstruction au nom d’un soi-disant opportunisme ?
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L’importance de témoigner
Témoigner, c’est donner un sens à notre souffrance et finir de guérir en découvrant que notre expérience aidera d’autres personnes. Pour cela, il faut oser ouvrir les portes de l’intime pour raconter les coups, les injures et les menaces, mais aussi les viols, la honte, la faille interne qu’on voudrait garder dans le noir, la bouillie du cerveau. Nous sommes tous composés de chair et de sang, de doutes et d’espoirs, de neurones et de nerfs, avec une sexualité, des désirs, des peurs. Pourquoi en avoir honte ?
Témoigner, c’est aussi faire comprendre que nous sommes des êtres complexes composés de forces et de faiblesses qui nous handicapent parfois jusqu’à nous faire trébucher. Que nous portons tous de la violence en nous, qui doit être comprise et canalisée pour ne blesser ni nous-même ni les autres. Que les choix sont difficiles et que les erreurs sont l’occasion d’avancer autrement. Qu’il y a un temps pour pleurer, hurler, se reprocher et un temps pour avancer. Que notre histoire, lorsqu’elle entre en collision avec celle des autres, peut provoquer des changements de trajectoire, pour le meilleur comme pour le pire.
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Comprendre sa responsabilité, pour soi
Depuis mon premier essai de témoignage, il y a quinze ans, les clichés sur les violences conjugales ont évolué : on sait désormais qu’elles ne sont pas l’apanage de populations défavorisées ou fragilisées par l’alcool ou la drogue, qu’elles sont protéiformes et qu’elles touchent tous les milieux sociaux et toutes les classes d’âge. Alors ne nous trompons pas de cible : homme ou femme, c’est aujourd’hui moins une question de genre que d’autorisation que certains se donnent de passer à l’acte pour exercer leur domination et leur violence sur un(e) autre. Les violences conjugales touchent tout le monde car, à leur origine, il y a une histoire d’amour. Une histoire qui s’est créée et a été nourrie à deux puis dans laquelle l’un des protagonistes a décidé seul de changer les règles du jeu. En activant des mécanismes inconscients chez son partenaire, il lui a ôté progressivement toute velléité de réaction puis d’action. Manipulé par une force invisible, le conjoint sous emprise devient progressivement victime.
Rappelons-le haut et fort : une victime n’est jamais responsable ni coupable des violences d’un autre qui, par ascendant de force physique et/ou psychique, impose sa domination. Elle n’est pas non plus complice sous prétexte qu’elle reste avec son bourreau. Pour combattre les violences conjugales, il faut séparer la notion de responsabilité de celle de culpabilité, et aider les victimes à se différencier de leur bourreau. Loin de sa définition comme « origine et cause d’un dommage », la responsabilité de la victime s’entend ici comme « la capacité de prendre des décisions individuelles », donc de (re)prendre sa vie en main : c’est le pouvoir d’action de la victime qui décide de ne plus subir et d’être respectée. Être responsable demande du courage, mais certainement pas de la témérité : s’il faut fuir subitement, sans explication et sans se retourner, faites-le sans honte.
3919 : le numéro national d'écoute aux femmes victimes de toute violence.
Notre autrice
Marie Gervais est l'autrice du livre Il me tue cet amour, paru aux Editions Massot.
Marie Gervais a vécu pendant 8 ans des violences conjugales. Quand elle ose enfuin fuir cette relation, elle redécouvre la liberté mais est aussi confrontée au long processus de reconstruction après ce traumatisme. Aujourd’hui, Marie partage son histoire mais aussi tout ce qu’elle a compris des rouages de la violence et de son acceptation, de l’emprise et du déni.
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