Quel déclic a mené à la rédaction de Sœurs en écologie, récemment paru aux éditions La Mer Salée ?
Jusqu’alors, travaillant depuis vingt ans sur les questions d’environnement, je n’avais jamais appliqué de critère de genre. Puis, en 2012, pour une étude sur la pensée écologique, j’ai fait une recherche croisée dans l’Encyclopédie Universalis autour de "femme + nature" et de "femme + écologie". Résultat, j’ai trouvé comme items "Rousseau", "procréation", "mycose". J’étais choquée ! Je me suis dit : "Ce n’est pas possible. Aucune femme ayant réfléchi aux questions de nature, d’écologie, n’est jugée digne d’être citée ?" Prenez Hildegarde de Bingen, George Sand, Rosa Luxemburg, Rachel Carson, Jane Goodall, Wangari Maathai… Les femmes se sont toujours investies en écologie, ont été à l’origine d’avancées fondamentales en matière d’environnement. Méconnues, elles ont été très voire trop liées à la nature. Je suis partie à leur recherche, je me suis heurtée à ce cliché selon lequel les femmes qui s’intéressent à la nature sont toujours considérées comme des sorcières.
Pourquoi les femmes auraient-elles une sensibilité différente à l’environnement ?
Leur histoire particulière a conféré aux femmes une proximité avec la nature, essentielle pour remplir leurs tâches traditionnelles - nourrir, soigner, vêtir, etc. Aujourd’hui, elles sont en première ligne face aux catastrophes écologiques : l’eau est empoisonnée, l’air chargé de polluants dangereux, les sols sont dégradés... Face à ce constat du réel, les femmes ressentent une même petite alarme, du Tchad à l’Inde, d’Amérique à l’Italie, elles réalisent que ce monde n’est plus viable. Alors elles s’entraident, joignent leurs connaissances pour s’engager, être plus fortes face aux multinationales, créent des réseaux. C’est cela la sororité écologique des femmes. Elles sont attachées aux soins donnés aux autres et aux conséquences de leurs actions sur les générations futures. Carol Gilligan, psychologue américaine, en a posé les fondements dans son livre Une voix différente, pour une éthique du care. C’est la "capacité à se soucier, à éprouver de la sympathie, de la compréhension et de la sensibilité pour le destin de certains êtres particuliers et à se porter responsable pour d’autres". C’est un enjeu qui suppose de dépasser la question du genre pour aller vers la transformation démocratique, émancipatrice pour toutes et tous. Carol Gilligan fait l’apologie d’une pensée qui puise dans l’intelligence du cœur. Or, la société nous encourage à nous détourner de nos émotions, de notre empathie, privilégiant toujours la raison.
Et de ne pas pour autant se faire taxer de sensiblerie… Car c’est le risque, non ?
Tout à fait ! Prenons l’exemple de la militante et théoricienne marxiste Rosa Luxemburg : son amour profond de la nature est méconnu – elle avait créé son jardin en prison – car on ne voulait pas qu’elle soit accusée de sentimentalisme.
Les engagements et les réseaux de ces femmes sont très variés…
La famille des "justicières de la terre » qui s’engagent en faveur de la santé de la planète et des hommes, ne se destinaient pas toutes à l’activisme ! Ainsi, par exemple, Loïs Gibbs, simple citoyenne américaine, découvre en 1978 l’existence d’un stock de déchets toxiques à proximité de l’école de son fils. Devenue militante, elle a non seulement fait interdire le site, mais contribué à faire voter un acte de loi. Elle a aussi créé un centre d’aide à l’activisme citoyen où les personnes apprennent à identifier leurs interlocuteurs, les règlements auxquels ils se réfèrent, et même à lire et à écrire pour se défendre ! Et 80% des personnes qui viennent se former sont des femmes….
Quels conseils donneriez-vous à toute personne désireuse de s’engager ?
D’abord, réaliser combien c’est magique d’avoir cette envie. On peut se demander en marchant, en méditant ou en parlant vers quelles actions on veut diriger son cœur. Les arbres ? Les animaux ? Le climat ? Une fois qu’on a eu cette démarche, on peut rejoindre un réseau existant.
Sœurs en écologie,
de Pascale d'Erm,
éd. La Mer Salée, mars 2017, 192 p., 20 €.