Lettre à mon cousin Romain, éleveur de chèvres clandestin
Février 2039.
Salut Romain,
Tu vas être surpris de recevoir ces quelques mots via un Short Message Service et non par simple Telepatyx, mais hier j'ai été pris tout d'un coup d'une méchante nostalgie et par l'envie d'utiliser les outils d'avant...
Et puis au moins j'étais sûr que tu allais pouvoir lire mon message avec ta collection de joujous technos d'hier, sans être lu par quelq'un d'autre. Ca m'a pris comme un vertige : je finissais une conférence holographique avec mon nouveau boss de Niamey (pardon, mon "accompagnateur d'épanouissement professionnel"), quand la sonde urinaire qui sert à recharger la biopile de mes lentilles de contact connectées est rentrée en court-circuit. Après l'arrivée du médecin-robot de l'immeuble et les Demos en Virtual Vision des 10 nouveaux modèles de sondes concurrentes, j'ai eu un flash. Une envie folle de retrouver la quiétude du tout début des années 2000, quand tout était plus simple, naturel et rudimentaire...
Tu te souviens des smartphone, qu'il fallait caresser à longueur de journée pour obtenir des informations pas toujours exactes ou pour appeler un ami sans aucun motif ? On devait même les recharger presque tous les jours, si bien qu'on pouvait presque se couper du monde quelques minutes dans la journée avec l'alibi de la batterie épuisée !
Et Google, tu t'en souviens ? La quantité incroyable d'informations qu'il fallait lire et trier avant de tomber sur quelque chose de réellement pertinent et vérifié ?
Sans parler des "liens" qu'on ne consultait jamais parce ce qu'on s'arrêtait de toutes façons à la page 4. Quand je pense qu'un simple annuaire numérique à peine élaboré est devenu aujourd'hui le 51ème état des US, avec son gouverneur et tout et tout... C'est comme si, à son époque, mon père avait vu la naissance d'un nouveau pays appelé PagesJaunes !
Et c'était trop sympa (comme on disait à l'époque :) d'aller faire du répérage dans les boutiques, avant de commander sur internet, pour éventuellement être livré le lendemain, dans le meilleur des cas ! Une journée à attendre, à imaginer l'ouverture du paquet, quel bonheur c'était, ce petit bonheur différé ! A-TTENDRE.
Etre dans l'A-TTENTE. Tiens, la semaine dernière, mon printer 3D-12G m'a pondu ma paire de chaussures exactement 7 minutes après que j'en ai seulement évoqué l'idée à Roxanne, autour d'un café détoxoprotéiné. Même pas eu le temps de changer d'avis sur la couleur... Je n'aurais pas de pharmaco-diffuseur sous la peau, je pense que je serais déjà en train de faire une dépression accélérée rien qu'en y pensant. D'ailleurs en parlant de Roxanne, tu avais raison : elle regrette de plus en plus la pose de ses prothèses de jambes : pas à cause de l'amputation volontaire, mais simplement parce qu'elle regrette ses séances d'épilation chez l'esthéticienne d'autrefois. Un des rares moments futiles qu'elle pouvait passer en pensant à rien quand elle était plus jeune. Même si maintenant elle court l'ultra-marathon en moins de 2 heures... pas si mal pour une quinqua épilée à vie, non ?
Sinon, ici, mon Romain, la résistance s'organise; tu imagines, après-demain ça fera 25 ans depuis la norme Bruxelles-F125 interdisant le fromage au lait cru, le temps passe vite... mais surtout pas l'envie ! J'ai pu rassembler de nombreux autres amateurs en manque; pas facile de se rencontrer et de communiquer en toute discrétion, donc on correspond comme moi aujourd'hui, par SMS ! A priori le protocole n'est plus reconnu par les "Grandes Oreilles" depuis 3 ans. D'ailleurs, ça nous évite de nous parler en code, et ça, ça n'a pas de prix ! Donc j'y vais "direct" : peux-tu très rapidement me déposer une palette complète de Chabichous là où tu sais ?
Prend soin de toi mon Romain, et sois prudent, une partie de notre bonheur est entre tes mains !
Ton cousin.