La coopérative Scopradi à Divo, en Côte d'Ivoire, n'est pas banale. Elle fait partie des rares organisations de producteurs labellisées Commerce équitable à avoir mis à leur tête une femme. Productrice de cacao, Estelle Ado est devenue directrice de la coopérative en 2012. Une responsabilité qu'elle endosse avec succès puisqu'elle a été confirmée dans son rôle en 2013 et son autorité n'a pas été remise en cause depuis. Avec 1800 membres, dont seulement 92 femmes, la partie n'était pas gagnée d'avance.
« Les femmes restent sous-représentées dans les instances de gouvernance, pointe Dominique Royet, directrice générale de Max Havelaar France. Pourtant, elles produisent 60 à 80% de la nourriture et représentent, à travers le monde, 43 à 70% de la main d’œuvre agricole ». Cette réalité de terrain ne signifie pas que les femmes ont des droits en matière décisionnelle, ni même qu’elles sont rémunérées pour leur travail. Au sein même des coopératives qui travaillent en accord avec le cahier des charges du commerce équitable Max Haavelar, la situation est loin d’être égalitaire. En effet, pour pouvoir participer aux prises de décision, il faut être membre et donc producteur en son nom propre.
La propriété de la terre, un enjeu de reconnaissance
Bien souvent, c'est l'homme qui, en tant que propriétaire des terres, est enregistré, tandis que la femme aide au travail quotidien. « L'enjeu de la propriété de la terre est une question complexe, souligne Estelle Ado. Souvent, une femme devient propriétaire par héritage ou par achat de terres. Plus rarement, l'homme donne à sa femme des terres ».
Les choses évoluent néanmoins dans le bon sens en Côté d'Ivoire : le 30 octobre dernier, une loi a été votée au Parlement, qui assure l'égalité homme-femme face à l'héritage. « C'est évident que ça va favoriser l'émergence de femmes productrices, assure Estelle Ado. Désormais les femmes pourront faire valoir leurs droits. Personnellement, j'ai été victime de cette discrimination. Mon père avait 12 hectares de cacao. Mais lorsqu'il est mort, on m'a dit que tout allait être donné à mes frères ».
La sensibilisation : éduquer à l'égalité
Au lieu de appesantir sur le passer (la loi n'est pas rétroactive), Estelle Ado préfère insister sur ce qui marche : la sensibilisation. C'est un élément clé du volet sociétal du cahier des charges du commerce équitable. Au sein de la Scopradi, c’est un succès. « Au début, nous devions organiser des sessions séparées pour les hommes et pour les femmes, se souvient Estelle Ado. Il fallait expliquer aux premiers que les femmes peuvent travailler à leur côté, que cela est une force pour la coopérative et que ça ne les empêche pas d’être de bonnes mères, et aux secondes, qu’elles avaient le droit de travailler et que cela était important pour elles et pour la communauté. Aujourd’hui, nous avons franchi une étape et nous pouvons faire des réunions communes pour continuer la sensibilisation ».
Les mentalités évoluent vite : à Divo, c’est une évidence pour les jeunes générations que les femmes peuvent travailler. Les filles osent désormais penser à un avenir qui ne se limite pas aux tâches ménagères et les hommes se rendent compte qu’elles sont un soutien dans le foyer. Pas seulement parce qu’elles apportent un second salaire, mais aussi car elles sont bien meilleures gestionnaires.
Le commerce équitable pour passer à l’action
Le cahier des charges du commerce équitable s’appuie sur quatre piliers : la structuration des producteurs en coopératives pour atteindre un certain poids qui permet de compter lors des négociations, la garantie d’un prix minimum pour la production, le respect de certains critères environnementaux (pas d’OGM, moins de pesticides, moins d’intrants) et le développement économique et social de la communauté. C’est dans ce dernier pilier que s’intègre la question de la parité.
« Dans le cahier des charges de Max Haavelar, l’égalité homme-femme est très présente », assure Dominique Royet. Ainsi, il soutient la non-discrimination de genre, la lutte contre les intimidations sexuelles ou les attitudes injurieuses, la mise en place de certaines dispositions sociales comme la sécurité sociale ou le congé maternité, même si ces derniers ne sont pas prévus au niveau national.
Il s’agit aussi d’agir concrètement sur le terrain. « Lors des assemblées générales, nous devons décider ensemble dans quoi nous investirons la prime de développement que nous recevons, assure Estelle Ado. Il faut savoir gérer les priorités tout en allant dans le sens de la communauté ». C’est ainsi que sur le territoire de la Scopradi, il y a désormais trois écoles, et des puits au cœur des villages pour que les femmes ne soient pas obligées de faire des kilomètres à pied pour chercher de l’eau.
Une action qui a du sens au Nord
Le commerce équitable n’a de sens que si les consommateurs au Nord sont prêts à acheter ces produits éthiques. Heureusement, les chiffres montrent que c’est le cas. « Aujourd’hui, le citoyen du Nord a une vigilance accrue lorsqu’il réalise un acte d’achat, remarque Dominique Royet. La notion de valeur partagée compte de plus en plus, c’est-à-dire qu’il veut savoir comment se répartit la valeur du produit qu’il achète. Plus on parle des actions qui sont rendues possibles dans les pays du Sud, plus le consommateur trouve du sens à son achat. Les produits sont plus chers, mais s’il sait ce qu’il y a derrière, il est prêt à faire le geste. »
Pour aller plus loin : maxhavelaarfrance.org. AlterEco propose par exemple un café Pur Arabica des productrices (Ouganda).