Cet article a été publié dans le magazine #33 mars-avril 2021
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Nous le voyons bien, tout change sans cesse, ce qui hier nous semblait stable, maintenant vacille. La crise sanitaire de la covid-19 vient nous toucher au cœur de notre quotidien et bousculer notre existence sur le long terme. Le doute, le désarroi, sont devenus nos compagnons. Alors, faut-il baisser les bras, succomber à la morosité ? Surtout pas ! La Bhagavad Gîtâ, ce joyau de la sagesse indienne et du yoga, nous en conjure.
Un chemin vers soi
Tournons notre regard vers l’Orient et l’Inde ancienne. Le Mahâ-Bhârata, une immense épopée aux allures de l’Iliade et de l’Odyssée, raconte les mille et un épisodes de l’affrontement de deux clans unis par des liens familiaux. L’ordre du monde, Dharma, est en péril. Une bataille sans merci va éclater.
À ce moment crucial, Arjuna, le valeureux archer, demande à son cocher de le conduire au milieu du champ de bataille. C’est alors qu’il s’effondre, désespéré de voir dans l’autre camp des membres de sa famille et ses maîtres d’antan. Mais Krishna, son cocher, va le convaincre qu’il lui faut agir et lutter contre l’injustice. Pour cela, il ouvre une voie nouvelle : la découverte de soi. Ce chemin d’exploration permettra à l’archer, devenu maître de lui-même, de mener à bien sa mission. Il combattra et sera victorieux, la vérité finit toujours par triompher : telle est la devise de l’Inde (satyam eva jayate).
Un message essentiel
La Bhagavad Gîtâ déploie ainsi, en plein champ de bataille, un dialogue d’éveil et sonne le temps du sursaut : « Dresse-toi ! Réveille-toi ! » Une devise qui nous parle en ces temps de crise et de perte de repères. Pas de temps à perdre : toi, moi, elle, lui, chacune, chacun a besoin d’autrui, peut, doit lui venir en aide. Alors décodons ce texte sacré pour mieux comprendre comment se lancer dans la grande aventure de la vie.
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Le champ de bataille, c’est la scène de l’existence, les personnages, deux dimensions en nous-mêmes, deux profondeurs de conscience : l’archer désespéré qui ne voit plus la cible, et le cocher qui sait où conduire l’attelage (nous-mêmes !). Mais pour une fois Arjuna, parce qu’il est désemparé, peut recevoir une parole autre. Krishna aussi nous ressemble. Il correspond à cette dimension profonde, au-delà des intransigeances du petit moi, là où vibre la musique de l’univers. Celle-là seule qui nous fortifie dans les épreuves. Alors n’ayons pas peur de la peur !
Une plongée en soi
Nous aussi, dans les moments difficiles, savons bien qu’il faut aller plus loin, au cœur de soi, brisant les cuirasses du moi, pour retrouver le contact avec notre «profondeur heureuse». C’est là le but fondamental du yoga. Ce terme sanskrit signifie «jonction» harmonieuse du corps, du souffle-énergie et de l’esprit. Réaliser cela, même fugitivement, permet de se sentir en connexion avec le vivant, avec l’univers, ses expressions infinies, toujours nouvelles.
N’ayons pas peur de la peur !
Mais comment faire ? La force de la Bhagavad Gîtâ est de transmettre un enseignement universel, qui n’a que faire des siècles et des frontières : un art d’agir plein de discernement, totalement désintéressé, allégé des fardeaux du moi, du jugement, du résultat. Bien sûr, agir implique une intention, un but. Cependant, pour que l’action soit accomplie à la perfection (ou presque), il est indispensable d’agir dans un climat de lâcher-prise, libéré de la tyrannie du moi.
Des modèles incarnés
Les artistes, les chercheurs, tous ceux qui s’engagent pour un idéal qui dépasse leur petite personne, le savent bien : trop de tension en vue du résultat prive de la grâce donnée par la seule liberté intérieure.
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Vandana Shiva, militante écologiste indienne, lutte depuis sa jeunesse contre la déforestation car elle a vu peu à peu disparaître les forêts qui ont enchanté son enfance. Dans le même esprit que Gandhi, Martin Luther King ou Nelson Mandela, elle fait œuvre de «désobéissance créatrice» pour préserver les semences anciennes. «Comme l’enseigne la Gîtâ, je ne succombe pas au désespoir car l’urgence de la situation ne le permet pas. Chacun de nous doit agir selon ses possibilités, un tant soit peu au moins, sans se laisser impressionner par la tâche gigantesque qui reste à accomplir. […] Cette alchimie de profond détachement et de passion sans faille me permet de relever à chaque fois un nouveau défi, et cela parce que je ne reste pas figée dans le désarroi. […] Il faut rendre ensemble hommage à la vie, la célébrer, les uns pour les autres, en remplaçant la peur et le désespoir par l’audace et la joie.»
On peut imaginer que la Gîtâ aurait pu s’écrire au féminin. L’action est, ô combien ! le champ de réalisation des femmes. Souhaitons-nous donc un «art d’agir» qui rende meilleure toute action et nous fasse devenir des «initié.e.s de la vie».
L'autrice :
Colette Poggi, philosophe, indianiste et sanskritiste, enseigne la pensée indienne dans de nombreux centres universitaires et écoles de formation en yoga.
Le livre :
La Bhagavad Gîtâ ou l'Art d'Agir, de Colette Poggi, aux éditions Équateurs, 2020.