Comment la maladie a-t-elle touché votre féminité ?
Ma "féminité" s’est trouvée mise à l’épreuve par l’endométriose. Ici je ne pense pas à la ménopause artificielle, aux poussées impromptues d’acné, ni même à la difficulté d’enfanter que l’endométriose est susceptible d’entraîner. L’endométriose a plutôt affecté ma féminité en terme d’énergie (par opposition à l’énergie masculine) : se sentir féminine n’est plus une évidence quand on a mal en permanence. Souffrir oblige à devenir forte ; tenir devient notre verbe quotidien ; alors, on se construit une armure, et on serre les dents. Malheureusement, nous ne pouvons pas revêtir cette armure à plein temps, car alors, nous risquons de perdre ce sens de féminité, cette douceur, cette sensibilité.
À force de tenir, nous oublions de ressentir. C’est en cela que l’endométriose challenge ma féminité. Je dois alors faire l’effort de"déposer les armes", avec conscience, pour garder cette douceur dans mon cœur. Prendre un bain avec des bougies, écouter une musique douce, m’offrir un massage, ou simplement me parfumer me replace dans cette énergie féminine si précieuse.
Comment avez-vous réussi à ne pas vous enfermer dans la maladie ?
J’ai passé deux ans à m’enfermer dans la maladie avant d’avoir deux déclics successifs : pour le premier, je me suis imaginée dans la même situation dix ans plus tard, c’est-à-dire allongée en permanence, en colère, avec des envies de coma pour ne plus sentir la douleur. Et cette vision m’a soufflée : "Julie, tu ne vas pas perdre 10 ans de ta vie. Tu ne peux pas continuer comme ça". Alors, j’ai choisi d’essayer. Ça n’a pas été facile, et, heureusement, j’ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. C’était un déclic qui m’a donné une impulsion, qui a amorcé l’envie de m’en sortir coûte que coûte.
Parfois, le plus petit pas de notre vie est aussi le plus important.
Mon deuxième déclic était forcé. Mes douleurs étaient devenues intenables (ou plutôt, je ne les supportais plus). J’avais besoin d’un RDV en urgence. Mais, nous étions toutes des "urgences", chez ce spécialiste d’endométriose. J’ai obtenu mon RDV : il y avait un mois à attendre. Et quand on a mal, un mois, c’est long. Une éternité même. Alors je n’ai pas eu d’autre choix que de tenter quelque chose, en l’occurrence la méditation, sur les excellents conseils de mon ostéopathe. C’est donc un peu malgré moi que j’ai commencé à "m’aider moi-même"…
En parallèle, il y eu deux témoignages qui m’ont littéralement bouleversée (de joie !). Je suis tombée sur ceux de Laetitia Milot et d’Imany. En les écoutant, j’avais les larmes aux yeux ! Je n’étais pas unique ! Elles m’ont montré que l’on pouvait justement s’épanouir malgré une endométriose. Que s’en sortir était possible. Elles m’ont tirées vers le haut. Et je ne les en remercierai jamais assez.
Qu'est-ce qui vous as poussé à écrire ce livre ?
La réprise de consience que j’avais dû essayer je-ne-sais combien de pratiques pour m’en tirer, pour apprendre à gérer mes douleurs au quotidien. Et je me suis rappelée que je n’avais eu aucun guide, personne qui vive la même chose que moi pour me donner des conseils… J’ai donc voulu que ce livre soit celui que j’aurais aimé avoir à mes côtés dans ce périple. Et puis, recréer à mon humble mesure ce que Laetitia Milot et Imany avaient fait pour moi : me montrer la voie, et le courage de la suivre. La rencontre avec la "dame du parc", qui donna le sous-titre de mon livre, était le signal que ce projet d’écriture était le bon. Alors, naturellement, je n’avais pas d’autre choix que de me mettre au travail.
On dit que l'art est une thérapie. L'écriture l'a t-elle été pour vous ?
Pour moi, c’en est une. Coucher des mots sur le papier, c’est aussi donner de la légèreté à ce que nous vivons, c’est aussi ordonner les choses quand tout semble aller mal.
J’écris actuellement le second tome, plus "concret" et axé sur le quotidien avec une endométriose, qui comprendra également 90 recettes sucrées (smoothies, jus, et en cas). L’endométriose nous pousse à transformer notre mode de vie, et l’alimentation est essentielle : si nous ne pouvons pas contrôler ce qui nous arrive, ni les effets secondaires des traitements, parfois très lourds (et je sais de quoi je parle : pensez burnout, bouffées de chaleur, tachycardie, vertiges, insomnies…), nous pouvons au moins choisir la composition de nos assiettes. Il faut exploiter ce sur quoi nous pouvons agir, au lieu de nous focaliser sur ce qu’il nous manque. L’écriture révèle tout cela, tout ce que notre corps sait déjà.
Votre livre est un acte engagé. Faites-vous également partie d'une association ?
Je n’appartiens à aucune organisation. Mais j’ai souhaité que mon livre soit un témoignage honnête de ce à quoi vivre avec une endométriose ressemble. J’ai souvent hésité, lors de son écriture, à me censurer. J’ai hésité à dire la vérité. Parce que cela me paraissait trop dur. Je pense notamment au moment où je disais avoir envie d’être mise dans le coma pour ne plus souffrir, et pouvoir me réveiller indolore. C’était deux années extrêmement difficile. J’étais perdue, et prisonnière de ma douleur. Seulement, en ne disant rien du "côté sombre" de l’endométriose, rien ne changera jamais. Personne ne réalisera jamais ce que l’endométriose induit au quotidien.
Trouvez-vous qu'on en parle assez ?
La médiatisation de cette maladie chronique va croissante, en particulier grâce aux témoignages de Laetitia Milot, Imany, Laura Dunham. C’est une excellente nouvelle. Je pense toutefois qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire pour que les choses bougent réellement. Aujourd’hui, quand on dit souffrir d’endométriose, on entend "Ah oui ! L’endométriose !". Très bien.
Mais nous sommes encore loin de la véritable compréhension de ce que ce terme "endométriose" cache. L’endométriose, ce n’est pas seulement avoir des difficultés à concevoir un enfant et des douleurs pendant les règles. C’est aussi manquer trois semaines de cours tant les douleurs sont fortes, c’est avoir des pics de douleur à en tomber dans les pommes, être incapable de travailler,… Et puis, chaque jour, c’est avoir deux fois plus de travail que les autres, c’est apprendre à présenter un visage neutre voire souriant alors qu’à l’intérieur, on pleure de douleur et de fatigue...
Conseillez-vous d'en parler à ses proches ? Est-ce difficile ? Comment en parler ?
C’est la question à laquelle j’ai le plus de difficulté à répondre. Il faut en parler. Il faut dire ce que nous ressentons, expliquer ce qu’est cette maladie. C’est essentiel. Nous ne pouvons pas garder ce fardeau pour nous seules. Le challenge, c’est de savoir quand s’arrêter. On devient vite insupportable, on tourne rapidement en boucle… Et là… On cause plus de peine que de mal, à la fois à nous-même (on stagne) et à nos proches, qui sont malheureux de nous voir souffrir, et nous rendent malheureux de leur malheur.
Je ne peux donc pas donner de réponse concrète : il faut juger par soi-même, parfois s’adapter à notre public… Certaines personnes ne comprendront jamais ce que vous leur dites. Passez votre chemin.
Quel message souhaitez-vous passer à travers ce livre ?
Je voudrais pouvoir crier à toutes celles qui souffrent :
Personne ne fera le boulot à votre place.
Personne ne portera jamais votre douleur.
Devenez donc votre propre chevalier.
Soyez une princesse si occupée par son royaume, qu’elle ne cherche pas désespérément son prince charmant.
Terrassez vos dragons. Vous êtes assez fortes pour cela.
Vous n’avez pas à attendre un quelconque miracle.
Créez-le.
Jour. Après. Jour.
N’attendez pas le miracle :
Devenez-le.
Comment s'épanouir malgré une endométriose
Julie Saint-Clair
Editions Josette Lyon
17 euros