Je n’avais pas lu cet article sur la sexualité et le cancer au moment où je commençais mes traitements. Heureusement. J’aurais sérieusement déprimé. Déjà le titre "Retrouver une sexualité après le cancer" sous-entend que l'on rentre au couvent pendant les 6 à 9 mois que durent les traitements, et même beaucoup plus longtemps si on doit attendre la reconstruction du sein.
J’ai quand même lu la suite et j’ai découvert la description d’un quotidien où la chambre se transforme en annexe d’hôpital et où le conjoint s’organise une vie à part dans une autre pièce. Je te passe les autres détails, mais c’est quand même flippant de lire des choses pareilles, ça pose tout de suite un décor des plus sinistres, comme si la situation ne l’était pas assez.
C’est l’hôpital qui se moque de la chasteté !
Ce qui m’a le plus frappé c’est le silence gêné des médecins et même des femmes qui ont connu ce parcours. Personne n’avait abordé le sujet spontanément, ou encore sur le plan technique. Ovaires bloqués, mycoses et mucites, baisse de la testostérone (hormone du désir) etc. Un discours médicalisé, une liste d’effets secondaires mais rien sur l’impact sur la libido, presque un tabou.
Le corps médical propose de consulter un psy mais rarement un sexologue ou un thérapeute de couple. Pourtant, il s’agit bien d’une crise à gérer à deux. Idem pour celles qui ont traversé un cancer, et je parle de femmes jeunes, elles n’en parlaient pas si je ne leur posais pas ouvertement la question. Comme si cela n’était pas la priorité, et donc un besoin mal placé compte tenu du contexte.
"Je ne voulais rien céder au crabe"
Pourquoi autant de fausse pudeur face au sexe ? Pour moi cela fait partie des plaisirs de la vie ; faire l’amour c’est désirer la vie, c’est l’encourager à prendre le dessus sur la mort. Et c’est bien comme cela que j’ai envisagé ma sexualité durant cette période.
Le cancer est une pathologie anti-féminine et a fortiori le cancer du sein, qui touche une part érotique de la femme. Celle qui perd un sein, voire les deux dans certains cas rares, puis ses cheveux, ses cils et sourcils et tous les poils ne l’oublions pas, doit redéfinir sa féminité si elle veut continuer à se sentir belle et désirable. Face à mon cancer, je me suis vite rendue compte que je ne voulais rien céder au crabe.
A la guerre, j’ai préféré la négociation pacifiée.
Ok, il y avait des choses non négociables comme ma mastectomie et la chimio. Ok, cela voulait dire perdre mes cheveux, que je portais très longs et bouclés, ma parure, comme mon amoureux aimait à les décrire. Ok, un visage sans cils ni sourcils c’est peu sexy. Ok, j’allais avoir les hormones dans le chignon, et toutes les répercussions que tu peux imaginer sur la libido. J’avais accepté cela, mais je ne voulais rien céder de ma vie de femme et d’amante. Je ne me suis pas battu contre la maladie, j’ai plutôt négocié avec les traitements, les médecins, et moi-même pour que ma vie soit la plus épanouie possible. A la guerre, j’ai préféré la négociation pacifiée.
>> Pour une expérience de lecture optimisée, retrouvez cette chronique dans votre magazine iPad de juin 2014.
Mais revenons à la sexualité. Si les femmes en parlent peu, du côté de nos partenaires, c’est silence radio. Ils n’ont ni le droit de citer ni le droit à la parole. Mais veulent-ils au moins la prendre ? Comme si soutenir un conjoint malade allait de soi. Poussés par un élan d’amour sacrificiel, ils font preuve d’une totale abnégation... enfin c’est ce que l’on croit. Je n’ai lu aucun témoignage de ces hommes, pourtant ils sont bouleversés, peinés et démunis aussi face à cette situation. C’est si déstabilisant que parfois ils préfèrent quitter le navire. Malheureusement une réalité mais, Dieu merci, pas la mienne.
Je me suis sentie en paix avec mon corps mutilé
De retour de la clinique, suite à ma première intervention, je me suis sentie en paix avec mon corps mutilé. Une fois les pansements retirés, j’ai découvert une cicatrice qui barrait le torse à la place du sein, que j’ai bien regardée dans le miroir pour l’apprivoiser. D’instinct je savais qu’il ne fallait pas me montrer toute nue devant mon amoureux. Deviner ce qui est sous le vêtement était suffisant, et je trouve absurde d’infliger un tel spectacle à une personne qui va mal le vivre.
Quelques jours après, encore fatiguée et endolorie par l’opération, mon amoureux avait simplement posé la main sur mes épaules et mon dos. La chair avait connu tant de maltraitance que j’ai vécu cette caresse comme un pansement d’amour, un soin de l’âme. Ce geste avait suffit à nous faire reprendre une vie sexuelle après, finalement, une assez courte interruption.
Chaque étape nécessite de se réapproprier son apparence et donc de trouver de nouveaux repères. On ne fait pas l’amour de la même manière ni aussi souvent car la fatigue est au rendez-vous, d’autant que, je te rappelle, j’ai continué à travailler à plein temps. Le plus important pour nous était de ne pas nous perdre et par-dessus tout, faire que mon corps soit et reste une source de plaisir et pas seulement de douleurs et de malaises. Je voulais l’habiter et ne pas le laisser à la merci des seuls traitements et leurs nombreux effets désagréables.
Crise et opportunité
Cela n'a toujours été simple, ni pour moi ni pour lui. Je me suis souvent mise à sa place, lui qui me voyait telle que j’étais, au "naturel". Dans l’intimité, point de perruque ni de maquillage. Ma propre image mentale n’avait pas changée. En dehors des courts moments où j’étais face à un miroir, je ne me voyais pas telle que j’étais vraiment devenue, mais lui si. C’était un pari que de maintenir une vie amoureuse harmonieuse, et comme je dis souvent, il n y a pas d’amour, il n y a que "l’épreuve" d’amour.
Même si je ne confonds pas sentiment et sexualité, je suis convaincue que l’un a permis et renforcé l’autre et réciproquement.
Tu me demandes si nous avons un secret, un conseil à donner ? Pour être tout à fait honnête avec toi, j’aurais aimé qu’il comprenne mieux la situation et qu’il ne fasse pas, par moment, l’autruche, en étant dans une forme de déni - pas vu, pas pris - de la réalité, certes dure mais bien présente. Nous avons connu des moments de crise, où l’un n’osait pas s’exprimer et l’autre demander.
Il est plus facile de vivre la maladie dans sa chair que de voir une personne que l’on chérit souffrir.
Il m’a fallu de la patience et souvent adopter son angle de vue pour comprendre sans juger son attitude. Il m’est même arrivé de pleurer, de me mettre en colère pour faire entendre ma voix et imposer la voie de la communication. Attendre spontanément un changement est une perte de temps et source de frustrations… Avec un peu d’amour et beaucoup d’humour, de l’écoute, en exprimant ses besoins et en accordant des espaces de respiration, nous avons réussi à sauver les meubles des dommages collatéraux du cancer.
J’ai appris beaucoup sur moi, mon corps et mon plaisir, mais aussi beaucoup sur lui. "On ne connaît bien que les choses que l'on apprivoise", disait le renard dans le Petit Prince de Saint-Exupéry.
Ce qui me ferait vraiment plaisir aujourd’hui, c’est qu’un jour il puisse prendre la parole et témoigner à son tour, pour moi et pour les milliers d’hommes et de femmes qui accompagnent un jour un être cher dans cette épreuve.
Pour une expérience de lecture optimisée, retrouvez cette chronique dans votre magazine iPad de juin 2014.