C'est une pomme pour le moins originale qui attire l'oeil sur le stand Slow Food « Antiche mele dell'Etna », via Roma en plein centre de Turin. Elle est petite, sa peau verte est par endroits lisse et brillante et à d'autres mate et granuleuse. Lorsqu'on la coupe, la pomme est tout aussi surprenante, avec des parties qui semblent gelées et d'autres d'un vert acidulé. Il n'en faut pas plus pour commencer à discuter avec Matilde Riccioli, l'administratice du projet Sentinelle des « Antiche mele dell'Etna » (pommes anciennes de l'Etna).
De par leur position, à la fois proche de la mer et en hauteur, enrichis naturellement par les rejets du volcan, les terrains des flancs de l'Etna sont fertiles. Ils abritent depuis des siècle une riche biodiversité végétale, qui se retrouvait par exemple dans la cohabitation d'une vingtaine d'espèces de pommiers. Mais dans les années 1970 cette diversité s'est réduite, concurrencées par les pommiers de Golden et de Red Delicious, plus faciles à cultiver et aux fruits plus demandés par le marché. La situation est devenue critique, au point que certains producteurs se sont mobilisés pour protéger les pommiers traditionnels des flancs de l'Etna, aidés par le parc naturel qui abrite les terrains de production.
Le stand de Matilde ne présente donc pas une mais sept variétés de pommes cultivées dans le cadre du projet Sentinelle Slow Food « Antiche mele dell'Etna », qui valorise au total 19 variétés locales. Aujourd'hui, la coopérative Zaufanah regroupe 34 producteurs de pommes, qui s'emploient à valoriser les espèces traditionnelles du terroir. Certaines sont encore en danger d'extinction. Par exemple, la Cirino, qui nous fait de l'oeil sur son piédestal au centre de la table : cette pomme de taille moyenne surprend par son aspect lisse et brillant. On la croirait astiquée et cirée, prête à défiler pour un grand prix de beauté. Mais il n'y a rien d'artificiel dans sa parure, c'est sa nature et les Anciens l'avait bien remarqué puisqu'ils l'ont baptisée en clin d'oeil au mot « cire ».
Matilde aime présenter les pommes qu'elle et ses collègues produisent et les anecdotes qui les accompagnent. Ainsi la Ruggia est une pomme dont la couleur rappelle la rouille (ruggine en italien). La Rotolo est une grosse pomme : elle peut peser jusqu'à 800 grammes... d'où son surnom de « Testa di Re » (tête de roi). La peau de la Cardilla se colore d'une vaste palettes de nuances de rouge et de vert, et la pomme, faiblement sucrée, doit son nom au propriétaire de l'arbre fruitier, Cardillo.
Là où Matilde devient intarissable, c'est sur l'histoire des pommes Gelato, Cola et Gelato cola. Une histoire de famille, comme elle aime à la présenter. La pomme Gelato est ronde, dodue même, et a le drôle d'aspect de la pomme qui attire le badaud : par endroit lisse et presque gelée, par d'autres, granuleuse. Elle doit son nom à sa pulpe, qui gèle pendant la saison froide, cristallisant le sucre à l'intérieur ce qui la rend très douce. La pomme Cola est bien plus petite et pointue. C'est l'une des plus ancienne variétés de la région et elle doit son nom à un certain Nicola, qui le premier la planta. Les hasards de la nature ont voulu qu'à une époque, pas si lointaine mais remontant à quelques siècle déjà, un pommier Gelato et un pommier Cola aient vécu en bon voisinage. Au point que, naturellement, les deux sortes de pommes se sont mêlées, donnant naissance à une nouvelle pomme, la Gelato Cola, qui a pris des gènes de ses deux parents. Pointue comme son père et gelée comme sa mère, c'est elle qui attire les passants sur le stand, et son goût, doux avec une pointe d'acidité, récompense les curieux.
Ainsi s'achève le voyage aux pays des pommes que Matilde propose à ceux qui prennent le temps de l'écouter. Passionnée et passionnante, portée par la volonté de préserver la richesse de son terroir, Matilde a des étoiles dans les yeux lorsqu'elle parle des terrains qui l'attendent en Sicile. Perchés à plus 800 mètres d'altitude (les 19 variétés poussent toutes entre 800 et 1500 mètres), baignés par le soleil méditerranéen, ces territoires vierges de toute pollution (aucune voiture n'arrive là-haut et toutes les récoltes se font à la main) dominent la côte, offrant un panorama allant de Messine à Syracuse et, au loin, de l'autre côté de la mer, une vue sur la pointe de la Calabre. Un petit coin de paradis sur Terre en somme, où il n'est pas interdit que croquer des pommes.
Pour aller plus loin, la coopérative Zaufanah sur Internet