Cet article a été publié dans le magazine #31 novembre-décembre 2020
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"J’avais dès mon plus jeune âge ces perceptions qui étaient aussi naturelles que respirer." Ainsi commence notre entretien avec une femme qui, après avoir grandi parmi les guérisseuses de sa lignée et avoir été rejetée par les enfants de son âge en pension, s’est appliquée à mener une vie “normale” pour ne plus être mise à l’écart. Surdouée des affaires, elle réussit dans tous les domaines jusqu’à ce jour où sa réalité la rattrape et qu’une expérience de “régression dans des vies antérieures” l’oblige à accepter que cette voie-là n’est plus la sienne. Elle lâche tout pour un voyage en Colombie qui la reconnectera à son identité chamane, et à cette culture de “l’Indien” qui qualifie la pratique unique du chamanisme qu’elle partage aujourd’hui au sein de ses espaces de communication.
FemininBio : Gislaine, pensez-vous que chacun d’entre nous ait accès à ces “pouvoirs”, ces perceptions qui sont les vôtres ?
Gislaine Duboc : Ce n’est pas du pouvoir mais de la réunification. Enfant, la première chose que l’on nous apprend est à nous couper de notre corps pour garder le contrôle, et que la réalité que l’on veut incarner s’impose au monde. Petit, on nous calme en permanence ("arrête de courir, de pleurer", etc.). C’est une fermeture, une mutilation. L’ouverture est la protection. Dans la culture occidentale on doit se construire, ne pas bouger, on a peur de celui qui pourrait nous transformer. On est dans le culte de la mort, de ce qui ne bouge pas. Dans la culture de l’Indien, nous sommes comme tout l’univers, sans cesse en transformation.
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Comment cela s’illustre, par exemple, dans la relation amoureuse ?
Dans une vision occidentale, je tombe amoureux de l’autre. Dans celle de l’Indien la vie me place dans une relation où je découvre une part de moi. L’autre n’est pas propriétaire du bonheur que je reçois, ni moi du sien. Notre transformation intérieure fait que la rencontre que la vie nous propose va nous transformer à tout jamais. Ainsi, on comprend que chaque relation n’est ni bonne ni mauvaise, mais transformatrice.
Comment sait-on alors quand il faut mettre fin à une relation ?
Avec la tête, on attend que la relation du début revienne et l’on peut rester longtemps dans cette posture. Si on écoute vraiment ce que notre corps vit, on sait que par exemple la personne ne nous touche plus, que quand elle arrive on est angoissée, etc.
Dans notre corps on sait que c’est fini, mais dans notre tête on se dit qu’elle va revenir. L’esprit est illimité et nous permet de supporter l’insupportable. Alors que le corps a ses limites : si je me brûle je me retire.
Que nous apprend cette année 2020, où le rapport au corps est particulièrement questionné, entre la maladie, les masques, la distance ?
Le virus ramène la mort dans la vie, et la vie redevient précieuse. Jusqu’ici, pas de problème. C’est lorsqu’on dit que l’on va éviter la mort que l’on entre dans la folie. Tout peut me tuer, peut être dangereux. Quand j’ai trop peur de mourir, je ne sais pas vivre. Ce qui était médecine devient aujourd’hui poison et les effets secondaires vont être catastrophiques. La situation actuelle demande de beaucoup travailler sur notre angoisse de mort.
L’humain détient en lui une base de créativité magnifique, et une fabuleuse capacité à créer des histoires. Mais ces histoires font aussi ignorer que vous allez mourir, et c’est pour cela qu’on a créé un monde sur le monde, et cette illusion nous amène à ne pas voir que le monde meurt. La crise actuelle nous prive de cette capacité de créativité. L’an dernier, si nous disions, «ta mère a une grippe» et qu’elle pouvait mourir, on restait tranquille. Désormais la grippe fait aussi peur, comme tout ce qui s’attrape. Bientôt nous n’oserons plus toucher personne, or un être qu’on ne touche pas devient psychotique. Mais on ne peut pas lutter contre la mort, elle est la base de la vie !
Comment s’y prendre pour travailler notre angoisse de la mort ?
Déjà en comprenant qu’une angoisse de mort ne veut pas dire mourir. C’est le fait que la vie pourrait ne pas me donner ce que j’attends. Par exemple, l’homme que j’aime meurt, ou mon business s’effondre. La vie arrive à l’impromptu m’enlever ce que j’ai reçu. Or tout ce qu’on reçoit, la vie nous le reprend. Il est nécessaire de travailler aujourd’hui cette reconnexion à la réalité de perceptions et à accepter que la mort viendra. Françoise Dolto disait :"On meurt quand on a fini son temps. ”Et j’ai ajouté “jamais avant”, car son temps peut être quelques mois ou des années. Quand j’ai cette quiétude de savoir que je ne peux pas mourir avant d’avoir eu mon temps, alors je suis serein.
Dès que l’on ouvre ses perceptions, on touche à la compréhension que quand la vie nous enlève quelque chose, c’est pour donner autre chose. Quand on a le courage d’aimer quelqu’un, son départ créera un vide, mais le vide alors s’agrandit pour ouvrir à un autre amour. Une personne ne détient pas l’amour, mais plutôt des êtres nous font devenir amour. Cette route est à ouvrir pour lutter contre cet emprisonnement de la peur. Peur de mourir à ce point, c’est s’assurer qu’on ne va pas vivre.
Dès lors, comment nous ouvrir à nos propres perceptions pour mieux vivre ensemble ?
C’est l’éveil à cette unité de l’être, esprit-corps-cœur-âme, qui est le grand défi de notre époque. Et cette alchimie est comme la goutte de vin dans un verre d’eau : elle modifie l’ensemble.
Sur le plan religieux, il est dit que dans chaque être que tu rencontres, c’est toi que tu rencontres. "D’accord, me répond-on, mais quand tu rencontres Hitler ? " Alors tu rencontres celui qui pense qu’il y a un peuple élu et que le reste ne mérite pas de vivre.
De la même façon il y a des parts de toi que tu maltraites parce qu’elles ne plaisent pas à tout le monde.
Que nous dit l’Indien à ce sujet ?
L’Indien nous dit que chaque expression de la vie révèle un bout du monde. Chaque connexion transforme et ouvre. Si je comprends l’autre, il devient miroir de moi-même. Par exemple, je ne torture pas les animaux, mais je me torture. Si je comprends ce que je me fais subir, je comprends alors quelqu’un qui fait du mal aux animaux.
Gislaine, quel est votre secret pour illustrer vos idées avec tant de justesse ?
Le monde est beauté et poésie, et quand on touche cette dimension de la vie, on ne cherche pas les mots. Quand on est connecté à l’univers, les métaphores, les mots viennent, les images viennent. Plus je vieillis, plus je me rends compte que tout cela descend dans ce rythme qui m’étonne moi-même.
Son livre
Les 4 voies chamaniques, de Gislaine Duboc, est paru aux éditions Eyrolles en 2017.
Retrouvez-la sur son site : eveil-chamanisme.fr.