Le sorgho : la céréale du 21ème siècle
Voici probablement celle qui, parmi les céréales majeures, a le plus grand potentiel de développement. Moins connu que le maïs ou le riz, au point qu’en Europe beaucoup passent à côté de ses champs sans le reconnaître, le sorgho évoque l’Afrique, son continent d’origine, alors qu’il est désormais tout autant cultivé en Inde ou en Amérique. Sa contribution à l’alimentation des peuples du monde en fait la cinquième céréale, vitale pour un demi milliard de personnes, mais loin derrière le quatuor de choc maïs-riz - blé- orge.
Pire, depuis quarante ans, la récolte mondiale de sorgho stagne aux alentours de 56 millions de tonnes, alors que celle des autres céréales a plus que triplé. (...) À ceci près que le sorgho reste le préféré, et de loin, pour les repas du quotidien. Et pas n’importe lequel, plutôt les variétés locales que les sorghos hybrides à grand rendement. Pour conforter sa position à l’avenir, le sorgho dispose d’atouts certains. D’abord, c’est sans conteste l’une des plus efficaces usines à photosynthèse qui soient : certaines variétés bouclent leur cycle en moins de trois mois, ce qui rend possible jusqu’à trois récoltes par an, à condition que l’eau ne manque pas.
Presque à égalité avec le mil, il supporte les grandes chaleurs, ce qui sera précieux face au réchauffement climatique. Sa culture requiert moins de travail que le maïs, à récolte égale. À cela s’ajoute une diversité variétale qui couvre toute une palette d’usages, depuis le pop-corn jusqu’à l’alcool, sans oublier la couverture des paillotes ou la confection de balais. Alors, prêt à découvrir la céréale du xxie siècle ?
Le sorgho : céréale nourissante pour les hommes et le bétail
En Europe, le sorgho est surtout destiné à l’alimentation animale : ses graines sont appréciées de la volaille, et la plante entière peut être ensilée en guise de fourrage. En Afrique tropicale, le sorgho figure à beaucoup de repas. Le décorticage des grains et leur mouture sont pratiqués par les femmes, au pilon. Les grains décortiqués sont séchés au soleil, puis réduits en farine après avoir été vannés. Il n’y a pas qu’eux : au total, deux heures de travail sont nécessaires pour produire un kilo et demi de farine, et le pilon pèse plus de 20 kilos ! Rien n’est perdu, car le son est donné au bétail. De plus en plus souvent, des décortiqueuses mécaniques achetées collectivement allègent cette peine.
La farine de sorgho permet de préparer une bouillie en un rien de temps. Assez consistante, elle est découpée en petites portions en forme de cuillères à soupe, que l’on sert tièdes avec une sauce à base de tomates, d’oignons, de poivrons et de gombos, où a mijoté un peu de viande ou de poisson séché. Cuite au lait, cette bouillie sert de petit déjeuner. L’ogi est une bouillie plus légère, mise à fermenter peu de temps. C’est la forme la plus consommée au Nigeria, où elle est le plat préféré des personnes âgées ou malades, sans oublier les enfants, car elle n’est pas trop acide. La farine de sorgho tamisée, puis humidifiée et travaillée du bout des doigts, s’agglomère en une semoule que l’on cuit trois fois à la vapeur. On obtient du couscous qui, une fois séché au soleil, peut être stocké plusieurs mois. Avantage supplémentaire : il cuit rapidement.
En Afrique du Sud, le sorgho remplace le maïs et le blé dans les préparations de céréales pour le petit déjeuner, à un prix très compétitif. Cuit dans le lait et servi avec un peu de gingembre confit ou des fruits secs, le grain de sorgho blanc décortiqué constitue le sohleb, un pudding traditionnel en Tunisie, où le sorgho est appelé droo. Aux halles de Tunis, on le servait au petit matin dans des bols, saupoudré de sucre fin et de cannelle, à l’attention des manutentionnaires et des étudiants fêtards. La farine de sorgho ne contient pas de gluten, ce qui fera plaisir aux personnes intolérantes. Impossible d’obtenir du pain levé traditionnel, mais des recettes existent où on la mélange avec de la farine de riz complet, du tapioca et de la levure, avant de la cuire dans un moule.
En Inde, on en fait de fines galettes, les rotis, à servir encore chaudes avec le curry. Le sorgho rouge est à l’origine, avec le mil, d’une bière africaine traditionnelle, le dolo. Dans certaines régions, notamment l’Afrique des Grands Lacs, la persistance de la culture du sorgho tient pour beaucoup à la bière qu’on réalise avec ses grains.
Consommez le sorgho en farine pour une meilleure digestion
Chez certaines variétés, le grain est brun ou noir, signe de la présence de tannins, des composés amers qui assurent une bonne protection face aux moisissures et aux oiseaux. Cet avantage se transforme en défaut dans l’assiette, et le sorgho blanc y est nettement préféré. On trouve autant de protéines dans le grain de sorgho que chez les autres céréales, mais elles sont moins facilement utilisables. La raison tient au fait que la plupart de ces "bonnes" protéines sont comme encapsulées par d’autres protéines qui résistent à l’attaque des sucs gastriques. Un chercheur américain de l’université de Purdue, Bruce Hamaker, a montré que cette armure était plus faible dans une variété. Cela ouvre la voie à une hybridation vers un sorgho plus nutritif. Par ailleurs, le simple maltage des grains améliore leur digestibilité pour le bétail.
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Texte extrait du livre "Céréales, la plus grande sage que le monde ait vécue" de Jean-Paul Collabert aux éditions rue de l'échiquier.
Crédit photo : almathe.canalblog.com